13/01 : Suite à la tribune des 100 femmes

- Là encore, des cyber harceleurs sévissent en toute impunité et en appellent à la violence physique et sexuelle contre ces femmes sur les réseaux sociaux, c'est éreintant, inadmissible. Les modérations sont dépassées face au nombre de signalements et restent impuissantes.

- Catherine Millet a déclaré être trop âgée pour subir des agressions sexuelles.
Je cite Caroline de Haas (militante qui, j’ignore pour quelles raisons, suscite le mépris dans l’opinion) :





(Voir mon post de la page suivante à propos des femmes SDF)

- Rappel qu’une agression sexuelle est punie par la loi : frotteur, baiser forcé... 5 ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende.

- On les minore, virilisme oblige, mais les hommes qui se font tripoter les fesses, empoigner le pénis, embrasser de force par les « porcs » à leur travail, dans leurs loisirs et qui souffrent profondément de leur traumatisme existent, et eux aussi martèlent leur droit à ne pas être  « importunés », et à ne pas être eux non plus des réceptacles à la “misère sexuelle” d’autres. J'espère sincèrement voir émerger des espaces forts pour mettre fin au sentiment d'injonction viriliste.

- J’ai du respect pour ces femmes, leurs parcours, leurs intelligences, mais je me sens méprisée et infantilisée dans leur discours en tant que victime. J’ai l’impression d’une inconscience totale de ce qui se joue, d'une ignorance des réalités d'un traumatisme également. J'ai l'impression que le couvercle difficilement soulevé est en train d'être rabattu .

- Par rapport au statut de victime :

Beaucoup seront gêné-e-s par le pathos qui se dégage de ce message, mais je le trouve assez fort :






Je félicite et j’applaudis les stoïques qui réussissent à gérer leur traumatisme (ou son absence). Pour beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants, ce n’est pas le cas. J’ai longtemps endossé le rôle de « coupable », me reconnaître « victime » de ces crimes et délits a été un long cheminement et une libération. Victime n’est pas un gros mot (et je me fiche de la note que vous attribuerez à mon armure). Je guéris à mon rythme. Certaines n’ont pas vécu de traumatisme après leur viol et s’en portent très bien, tant mieux pour elles (même si le contexte est très mal choisi pour le marteler... je ne comprends pas bien ce qu’on essaie de faire en disant : “j’ai été violée et je ne porte bien, merci. (Soupir de libération)”, on rassure les agresseurs ? On met en avant l’amplification générale, l’excès dans les mesures fermes qui émergent enfin autour du phénomène (qui au fond n’est peut-être pas si atroce dans la réalité) ?) Nous sommes certes tous et toutes différentes en sensibilités, vécus, caractères etc. Mais il y a je le rappelle 10% de plaintes pour 1% de condamnations et une inconscience générale autour de ces crimes et délits. Merci pour vos solidarités.

Être stoïque, c’est bien mieux que le pathos (l’imaginaire viriliste, toujours lui, glorifie la force, le sang-froid etc. etc.).











Je visualise le hashtag #balancetonporc comme une digue qui se serait brisée. Une parole historiquement silenciée libérée avec l’avènement des réseaux sociaux : solitude, honte, sentiment de culpabilité et d’illégitimité envolés avec l’émulation réciproque. L’inertie ambiante a été brisée : institutions, justice, culture ont pris des notes. Des femmes et des hommes ont balancé leur truie le même jour, mais cela a eu beaucoup moins d’écho que cette parole qui concerne une violence structurelle.

Les fausses allégations sont rares, les études sur la question le prouvent. Je n’ai jamais eu le courage de « balancer mes porcs » et je lève mon chapeau à celles et ceux qui ont osé parler sans craindre les représailles. Il est extrêmement difficile de franchir ce pas, surtout sur un réseau social où tous (y compris tes proches et amis) te regardent.

Les dérives sont fantasmées, ces femmes ont eu un courage qui n’a rien à voir avec de la délation. Elles ont donné de la force. J’ai le sentiment d’une vanne qui s’est ouverte très fort et très soudainement alors que le silence régnait jusqu’à présent. Balance ton porc a été un préalable important à la prise de conscience de cette parole (que très peu de monde écoutait jusqu’à présent) !
Christiane Rochefort dans son texte sur l’oppression parle de « sortir les couteaux » face à l’oppresseur qui ne peut rien entendre, passer de ce qui est pour lui un « bruit » au « langage », ce hashtag a rompu violemment cette digue.

Je comprends la réaction virulente de celles qui se sentent mises en danger par la tribune de ces 100 femmes (en majorité blanches, bourgeoises, bien loties). Ces propos auront un impact sur leur sécurité. La crainte pour notre intégrité nous pousse à crier, quitte à cataloguer l’adversaire. C’est un réflexe qui nous place en position d’infériorité puisque le ressenti n’aide pas à asseoir la crédibilité (les rhétoriciens qui prônent la raison ne comprennent pas toujours beaucoup l’humain derrière ces réactions, le méprisent parfois et le prennent de haut). Refuser la contradiction, dans ce contexte, c’est se protéger. Perdre un fight verbal bien argumenté c’est perdre quelque chose d’encore plus gros. Les débats impliquent une charge émotionnelle : certaines m’ont confié qu’elles dormiraient mal cette nuit, après avoir vu tous ces potentiels intrus jubiler : « J’insisterai tant que j’en ai envie, aucune loi ne me l’interdit ».
Je sais que je m’empêche de lire certains de mes contradicteurs puisque chacune des démonstrations qui me fera douter (et qui réjouira mes agresseurs) me plongera dans une incertitude éprouvante pour ma santé mentale.

Je les comprends puisque cela les pousse à se remettre en question, là où elles aimeraient instaurer un nouvel ordre plus égalitaire, plus respectueux. Il effraie. Bâtir leur zone de sécurité impliquerait de grignoter sur le terrain des groupes dominants :
- Enseigner la notion méconnue de consentement.
- Se représenter un contexte (fille seule qui lit un livre, fille qui rentre le soir) et le respecter.
- Faire émerger un female gaze dans la culture.
Oui, mais cela ennuie. De tous temps, les femmes ont pris sur elles. Ce serait l’ordre naturel des choses (logique oppressive).

Je les comprends puisque je vois leurs agresseurs jubiler, se libérer de la culpabilité de leurs méfaits passés, se donner bonne conscience.

Je les comprends puisque leur ressenti légitime paraît amplifié, donc très peu crédible. Il y a ces agresseurs, moins « criards », pour qui une partie l’opinion se cache un peu de compassion au milieu de cette hystérie étouffante.

Sur Twitter, ce garçon qui postait des photos de nu de sa partenaire-gibier sur Babylon 2.0 et des groupes Whatsapp a lui aussi partagé la tribune. (Cela fait un an que je dialogue avec lui par messages privés au sujet du consentement. Deux adultes peuvent se livrer aux pratiques sexuelles dont ils ont envie du moment qu’il y a consentement mutuel. Mes efforts sont partis en fumée en un matin)
J’avais eu cette longue discussion pour lui expliquer en quoi le partage de nus de sa copine à cinquante mille inconnus sans son consentement était terrible pour elle. Il avait répondu :
« Laisse-moi vanter ma conquête, ce n’est pas grave, son téton est flouté, on ne voit presque pas son visage ».
(Il est d’ailleurs étrange comme ces personnes qui restent indifférentes au ressenti de leurs partenaires, ainsi que tous les invités au spectacle de ces groupes n’ayant jamais pensé à les signaler, sont prompts à s’agacer du fait que les femmes qui crient soient radicales et enterrent la séduction. Eux ne seront pas qualifiés de radicaux en s’appropriant le corps-objet d’autres sans leur consentement, eux se remettront rarement en question. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nos cris leur paraissent si disproportionnés, ils n’ont pas la mesure de la gravité de leurs actes et du contexte dans lequel ils s’inscrivent).

J’ai vu tous ces lecteurs du Figaro et de Valeurs Actuelles montrer leur joie et leur soulagement, virilité rassurée, l’intrusion confirmée par de nombreuses femmes comme faisant partie du patrimoine (je me demande parfois si dans vingt ans leur indécence et leur absurdité leur sautera aux yeux).

J’ai aussi vu ces hommes très nombreux s’indigner de ceux qui ne se sentiraient pas capables de respecter le consentement de la personne en face d’eux. Ils m’ont rassurée. Ils m’ont fait du bien. J’ai beaucoup d’admiration (et d’attirance) pour les hommes qui, dans le contexte actuel, respectent et comprennent nos ressentis. En être arrivé à ce niveau de compréhension est, je trouve, une belle preuve de respect (se mettre à la place d’une autre, s’être renseigné, avoir prêté l’oreille attentive, comprendre avec humilité la gravité de la situation et le fait que la crainte de se faire rembarrer n’est pas à mettre au même niveau que la crainte de se faire prendre les couilles par des porcs inconnus dans un monde où cela est si fréquent qu'on adopte des stratégies d'autodéfense)

Je sais que mon ressenti est très maladroitement exprimé, avec parfois des contradictions. Il m’arrive de relire mes crises d’angoisse, de colère et d’imaginer les suppositions d’hystérie ou encore les personnes très loin du mouvement et de son jargon qui se disent en me lisant « elle ne s’en rend pas compte, mais elle est radicale ».
(Une chose m’a frappée dans mon Borough de Londres, c’est l’absence de tabou et de méfiance à l’égard de l'intersectionnalité, y compris sur les bancs universitaires : race, gender theory, gaze reviennent souvent en études).

J’ai de l’admiration pour les hommes qui, dans ce contexte, arrivent à lire l’adulte consciente derrière mon traumatisme, le recul-défouloir, la maladresse de certains posts et les raisons légitimes de cette colère. Je sais que certains hommes déconstruits la ressentent avec moi, cette colère, qu’ils n'iront pas me policer comme une enfant qui ne sait pas ce qu’elle fait. Je sais que nos situations les blessent profondément. Beaucoup comprennent qu’en attendant de se faire entendre et de les endiguer, nous nous protégions avec nos propres moyens, soupçons et stratégies.
Le garçon avec lequel je suis depuis cinq ans m’a étonnée dans sa compréhension et dans l’acceptation de ce point de vue. Étrangement, j’ai senti que je pouvais m’envoyer en l’air avec lui sans crainte le soir même.

C’est quelque chose de rare et d’appréciable, je pense qu’il est facile de juger nos discours de souffrantes avec beaucoup de hauteur (ou de les prendre pour son ego).
Pour certaines personnes, nos cris de douleur sont plus coupables d’enterrer la séduction que la fréquence des violences sexuelles en elles-mêmes et cela me choque de l'entendre.



Je comprends à présent beaucoup mieux pourquoi certaines femmes apposent d’étranges filtres sur leurs profils dans les sites de rencontres. Je comprends trop bien ce qu’elles cherchent à éloigner d’elles avec ces stratagèmes.

(Et j’ai honte d’éprouver de la reconnaissance pour ce qui me semble être un comportement normal.)