Sam 2 Déc 2017 - 12:58

Mes violeurs sont des garçons normaux.
L’un d’eux est aujourd’hui étudiant en droit, ironiquement. Il ne doit pas se douter une seconde de l’empreinte au fer rouge qu’il a laissée sur mon corps.

Ce sont des garçons qui se considèrent comme des gentils, qui portent les courses de leur maman et ont de bons résultats scolaires. Ce sont des garçons qui font le thé, plaisantent avec le voisin, tiennent la porte. Des garçons qui hurlent au #Notallmen et à la feminazie, comme beaucoup d’autres. Des garçons qui offrent des fleurs à leurs collègues pour la journée des droits des femmes et qui se dissocient de tous ces méchants violeurs qu’on voit à la télé.

Ils ne correspondent en rien à vos fantasmes de méchanceté, de maladie. Ce sont des garçons propres sur eux, qui ont les visages de nos proches.
Les hommes qui ont brisé mon corps sont des “garçons corrects” aimés de leur entourage.

Mon stress post-traumatique dure depuis huit ans et revient par intermittences, je vis avec. Je n’ai jamais trouvé le courage de les dénoncer, je ne le ferai jamais. Je me sens plus légitime à dénoncer le voleur de ma bicyclette que ces garçons-là.

J’ai passé un cap, ma parole aujourd’hui n’a plus une once de crédibilité. Une pensée pour les femmes qui parlent aujourd’hui après dix, vingt ans. Un aussi long silence est quelque chose d’inconcevable pour les ignorants. Je les regarde courir au lynchage.

Les militantes féministes que je rencontre sur les réseaux sociaux me font des récits atroces de la manière dont on a autrefois brisé leurs corps (souvent dans la sphère familiale). Elles osent s’exprimer à travers de longs threads de plusieurs messages de 140 caractères. Elles affrontent la violence avec laquelle leurs contradicteurs se mettent dans la peau de leurs agresseurs en les jugeant « trop laides pour être violées. Qui voudrait t’agresser, toi ? », elles affrontent l’ignorance, les sans-honte qui leur prêtent le rôle de ceux qui leur ont brisé leur corps « tu as vu comment tu oses me parler ? Tu te comportes exactement comme ton violeur », les ignorants, les inconscients, les accusations de minorer le ressenti des pauvres séducteurs, démunis à cause d’elles. Elles doivent éduquer avec sourire et politesse, un biais d’hystérie suspendu comme une épée de Damoclès. J’ai arrêté de les lire pour me préserver. C’était trop difficile.

Parfois, je me demande si l’impunité des agresseurs (90% de classements sans suite) ne tient pas à cette ignorance, aux fantasmes que l’on se fait d’un agresseur (je ne visualise personnellement AUCUN des types qui m’ont violée condamné à quoi que ce soit).

Se taire et prendre sur soi est beaucoup moins difficile et douloureux que de porter plainte, raconter, militer.
Je suis tombée amoureuse d’un homme qui est un baume à mon corps. C’est la première personne de qui je tombe amoureuse. Je compte les jours que je passe sans lui. Je guéris grâce à lui. Militer rouvre mes cicatrices. Je me demande parfois ce qui me pousse à une lutte qui me semble beaucoup trop lente et perdue d’avance.