Jeu 14 Déc 2017 - 20:39

En cinquième, je portais comme les garçons de grands pantalons larges baissés jusqu’à mi-caleçon (je me souviens des sermons du directeur sur l’indécence pour une jeune fille d’exposer ainsi son postérieur). Je parlais comme eux avec une intonation grave, un peu forcée et mon accent d’étrangère.

Je haïssais le féminin, les cheveux longs, les voix aiguës, le maquillage, les jupes. Le féminin, c’était la futilité, la faiblesse, la soumission. Dans les films, les séries, qu’est-ce qu’elles étaient ennuyeuses avec leurs larmes,  le rouge sur les ongles, le prince qui délivre, l’amouur et puis leur hystérie (la mère de Malcolm, Chichi dans Dragon Ball - le male gaze se rit de ces ménagères hystériques et rabat-joie, là où un female gaze aurait mis en avant l’épuisement lié à la charge mentale. J’ai compris plus tard que l’hystérie se voulant spécifiquement féminine était elle aussi une construction, une manière de gommer les causes extérieures logiques de la colère pour les voir en la personne elle-même et la pathologiser).

Il fallait résister à tout prix à ce moule social, un piège. (J’ai cédé l’année suivante).

Les femmes intéressantes étaient ces guerrières portant les armes pour se venger d’un violeur, ces femmes stoïques, fermes, dirigeant leur propre empire [compléter cette liste avec tout ce qui est perçu comme socialement valorisant et souvent rendu obligatoire à remplir pour les personnages masculins à travers les injonctions virilistes].

J’ai grandi dans l’idée que les filles étaient des trous, une contre-forme du pénis conservée par un opercule fraîcheur, l’hymen. Elles s’inauguraient un peu comme un objet tout neuf. Leur premier amant avait l’honneur de leur prendre ce quelque chose comme un trophée. Le patriarcat nomme ce concept virginité. Il a longtemps été un moyen de contrôle de la sexualité des femmes et de s’assurer de l’identité du père.
J’ai compris plus tard que le petit objet entre mes jambes qui entrait en érection avait également un nom et son importance primordiale, aussi primordiale pour mon plaisir que l’est son pénis pour un homme.

J’ai eu mes premières relations sexuelles avec un garçon qui m’y avait un peu forcé (mais je ne les considérais pas comme des viols, ignorant à l’époque la notion de consentement et m’étant faite à l’idée que les hommes sont ce qu’ils sont).
J’étais conditionnée à accepter cette douleur. Saigner lors du premier rapport était normal.
J’ai appris en cours d’histoire que le drap taché de sang avait longtemps été un moyen de savoir que l’union entre deux époux avait bien été consommée.

J’ai compris plus tard que le saignement était lié entre autres à un manque de lubrification et donc de désir. Je pense à toutes ces femmes de toutes ces époques, saignant de leur appréhension, de leur absence de désir. Je pense à celles qui dans certains pays dépensent ce qui représente pour elles une fortune en couture d’hymen (L’hymen je le rappelle varie en morphologie selon les individus, l'activité physique et beaucoup d’autres facteurs, et  il n’est absolument pas pertinent de se baser sur sa forme pour juger de l’activité sexuelle) et se fournissent en capsules de sang pour flatter leur époux lors de la nuit de noces. Je serre mes jambes rien que de penser à la douleur et à tout ce sang institutionnalisés.

Je souffrais aussi à l’époque de ce qu’on appelle un vaginisme, la pénétration était atrocement douloureuse. Les femmes ont mal, les femmes souffrent pendant leurs règles, pendant leur accouchement, alors cela aussi, c’était peut-être normal. (J’ai compris plus tard que les règles très douloureuses étaient liées à l’endométriose, une maladie qui fait qu’une partie du sang des règles s’accumule à l’extérieur de l’utérus au lieu d’être évacué provoquant l’irritation des tissus avoisinants.


Je pense à la souffrance atroce de toutes ces femmes toutes ces années dans tous ces pays, des remarques infantilisantes qu’elles doivent entendre au sujet de leur douleur, de la société qui ne prend pas en compte cette problématique comme légitime et justifiant un congé).

Concernant le vaginisme, on m’a expliqué plus tard que le cerveau envoie un signal aux muscles du plancher pelvien qui se contractent et empêchent la pénétration. Le corps voudrait se protéger de toute cette douleur normalisée. Quand bien même le mental se serait résigné, le corps lui se ferme à toute intrusion.

Dans le porno, ces femmes, on leur rentrait dedans et ça glissait tout seul, qu’est-ce qui n’allait pas avec moi ?
J’ai compris plus tard que je n’étais pas émotionnellement prête. L’érotisme était fait par et pour les hommes. Mon érotisme se construisait à travers les yeux des hommes, je considérais les courbes féminines plus désirables, le corps féminin plus beau que celui des hommes, je vivais à travers des représentations qui l’érigeaient au rang d’icône, chair lisse, parfumée, épilée.
Le corps masculin ne m’est devenu érotique que lorsque j’ai construit mon propre imaginaire plus tard initiée par mes amies aux bandes dessinées japonaises et aux histoires de vampires (quand bien même mon désir de collégienne « fangirl » était moqué et ridiculisé). Avec la construction de cet imaginaire et la découverte du clitoris comme centre de mon plaisir, les relations sexuelles me sont devenues moins éprouvantes.
Beaucoup d’hommes ignorent à quel point le patriarcat bride la sexualité des femmes. Beaucoup d’hommes ignorent que s’ils ont tant de mal à obtenir des relations sexuelles, c’est parce que les femmes n’ont aucune envie de se faire utiliser par des marteaux-piqueurs sans ressentir aucun plaisir. Beaucoup d’hommes ignorent que s’ils ont autant de mal à obtenir des relations sexuelles, c’est parce que le viriarcat conçoit la sexualité comme une performance plutôt que comme un partage : les femmes ont quelque chose à y perdre, les hommes, à y gagner, s’ils assurent.

Très vite après mon premier rapport sexuel, les autres collégiens m’ont définie à travers ma sexualité. Avoir croisé un pénis tout puissant avait fait de moi une impure, quand le garçon qui m’avait prise comme un trophée était célébré. Baiser c’était bien, être baisé-e, c’était dégradant (réservé aux femmes et aux [insérer une insulte homophobe]).

Trois ans me séparent de mon frère. Au collège, il a beaucoup souffert de ma réputation et du fait que ses amis trouvaient ma mère attirante physiquement. On lui infligeait cette honte parce qu’il se devait être un garant de notre moralité. Mon corps, son déshonneur en tant qu’homme.

J’ai compris plus tard que les femmes n’étaient pas des réceptacles à souiller. Le vagin est élastique et auto-nettoyant. Les hommes ne sont pas des machines à dompter sans failles. Un rapport sexuel respectueux et consenti ne nous prend rien.

Quand j’ai commencé à comprendre mon corps, grâce au féminisme, j’ai pris le pouvoir sur lui.
Les personnes qui m’insultent sur ma sexualité me paraissent vivre à une autre époque, l’insulte “fils de pute” me paraît sortir d’une autre époque (notez comme elle est employée pour “injurier” les terroristes sans que cela ne choque personne).

J’ai beaucoup de peine pour toutes ces prostituées qu’on insulte - parce que ce sont elles qui sont injuriées, non pas vos ennemis - tout en aimant bien sûr paradoxalement profiter de leurs corps.